Compte-rendu Mardi 18 décembre 2018

Après 10 ans d’expérimentations, comme le précise le Dr Myriam Edjlali, l’Assurance Maladie a annoncé en juin dernier un accord qui organise le déploiement de la pratique de télémédecine en France. Les organisations de téléradiologie et de télémédecine « doivent être au service des patients et améliorer le service médical rendu ». Quels sont les avantages pour les patients et pour les professionnels de santé ? Analyse sur une expérience de TéléAVC, en région Nord-Pas de Calais-Picardie, initiée par le Professeur Jean-Pierre Pruvo (CHU de Lille).

La télémédecine regroupe les pratiques médicales permises ou facilitées par les télécommunications. C'est un exercice de la médecine par le biais des télécommunications et des technologies qui permettent les prestations de santé à distance, et l'échange de l'information médicale s'y rapportant.

La téléradiologie consiste en la consultation et l'interprétation d'images radiologiques ou échographiques à distance. L'activité de téléradiologie se divise en deux activités distinctes : le télédiagnostic d'une part, et la télé-expertise d'autre part.

 

     

Le télé-AVC est une innovation à la fois technologique et organisationnelle, souligne le Pr Jean-Pierre Pruvo. Il relie toutes les équipes médicales et soignantes, afin de mieux prendre en charge les patients victimes d’AVC.

Les urgentistes, les infirmières et les manipulateurs sont disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Grâce au télé-AVC, les urgentistes peuvent joindre, à tout moment, un neurologue présent dans un des centres hospitaliers de la région. Le neurologue pourra ainsi donner un avis spécialisé à l’urgentiste, par téléphone et en s’aidant d’une Webcam. Par ailleurs, les manipulateurs pourront contacter le neuroradiologue présent sur un des sites.

Grâce au télé-AVC, les IRM fonctionnent la nuit et les week-ends, « l’expertise des manipulateurs étant particulièrement bien mise en avant ». De cette manière, les neurologues et les urgentistes peuvent prendre les meilleures décisions thérapeutiques grâce à l’expertise clinique et aux résultats de l’IRM.

Le nombre de patients qui bénéficient d’une fibrinolyse et/ou d’une thrombectomie a considérablement augmenté grâce au télé-AVC, souligne le professeur Pruvo.

« Le télé-AVC est exemplaire à plus d’un titre », souligne le Dr Julien Carricaburu, médecin conseil de la CNAMTS. Car l’organisation médicale mise en place accompagne et soutient les progrès technologiques. Tout en rappelant l’histoire du stéthoscope de Laennec à l’usage du téléphone, le médecin-expert reconnaît que la multiplication des outils de télécommunication facilite le travail autour du patient. Le Docteur Carricaburu s’interroge : « Installer une cabine de télémédecine, aussi bien équipée soit-elle, au milieu d’un champ de haricots, ne sert à rien si les patients ne savent pas qu’elle est là. Qui peut les y conduire ? Et quelle réponse on va trouver derrière ? Y-a-t-il un médecin ? Plusieurs ? Une infirmière ? Et quel transport sera mis en œuvre si jamais cela est nécessaire ? » Cet exemple illustre la nécessité d’une implication de chacun. Et il poursuit : « L’assurance maladie, avec les radiologues, s’est engagée dans des démarches de pertinence qui sont des enjeux qui nous semblent plus intelligents que de simples modulations tarifaires ». Les deux partenaires réfléchissent ensemble, effectivement, sur la nature des investissements à faire et à partager. Le médecin de la CNAMTS rappelle les enjeux vis-à-vis des patients : « Nous ne devons pas faire le jeu de ceux qui ont vu un marché pour s’adresser à la détresse et l’inquiétude de beaucoup d’entre nous ». Le modèle négocié entre l’assurance maladie et les organisations syndicales, auquel ont participé jeunes médecins, étudiants et patient est un « modèle original ».

La radiologie est pionnière dans le domaine de la télémédecine. En effet, la technique de captation et de transmission d’imagerie peut se faire à distance. Le médecin rappelle que la loi n’a pas défini ce qu’était la distance. C’est donc au professionnel de santé de voir quelle est la bonne distance et quelle est la bonne pratique, pour le bénéfice du patient. Le médecin de la CNAMTS insiste sur la bonne mise en place du parcours de soins coordonnés. La HAS a, par ailleurs, dans un premier rapport publié en avril 2018, mis en avant que « cet examen est d’autant plus pertinent qu’il est pratiqué par des gens qui savent à qui ils s’adressent. Le patient connaît le médecin qu’il voit au travers d’une caméra ».

Il est à noter que des questions d’organisation se posent à tout moment dans les prises en charge complexes telles que l’AVC. Tout ne peut pas être inscrit dans la loi. Ce sont les organisations mises en place qui vont orienter les choses. L’accès au soin dépend du temps et de la distance. La téléconsultation abolit la distance. La télé-expertise diminue le temps.

- L’avenant 6 est un projet ouvert, souple dans les limites que la loi lui donne.

- Le terme de télédiagnostic n’existe pas dans le Code de la santé. Il s’agit de la téléconsultation.

    

Le fait d’avoir des systèmes interopérables, des gens qui se connaissent et se parlent est essentiel. Avec les nouvelles organisations, les soignants seront de plus en plus formés. C’est pourquoi les négociations avec les infirmiers ont prévu de s’intéresser au champ de la télémédecine, de la même manière que cela se fera avec les pharmaciens qui sont les premiers au contact des patients à la sortie d’hospitalisation.

La CNAM inscrit aujourd’hui la télémédecine et la télé-expertise dans le droit commun et en assure le remboursement. Concernant la télé-expertise, il s’agit d’investir et de rémunérer une pratique qui se faisait sans remboursement. Dans la pratique de tous les jours, les médecins s’adressent souvent à un confrère soit par SMS, par mail, par téléphone…

Laurence Rocher rajoute « que la télé-expertise en radiologie est quotidienne, sans que l’assurance maladie soit au courant. Les cliniciens reçoivent les patients qui ont déjà de l’imagerie, souvent sur CD. L’examen permet d’être relu dans les RCP, staffs multidisciplinaires avec des radiologues spécialisés dans la pathologie du patient. Cette télé-expertise est quotidienne et transparente ». 

La Cour des comptes, dans un rapport de 2015, montrait que la téléconsultation représentait 0,3% des consultations. Il s’agit encore d’un cadre expérimental. À l’hôpital cependant, les projets de télémédecine arrivent à maturité. Les fonts baptismaux de la télémédecine, du point de vue de la loi, commencent en 2019. Les radiologues se sont dotés d’une charte, dès 2007, réactualisée en 2015 et remise à jour fin 2018.

Julien Carricaburu précise : « Ce n’est pas parce que l’acte de téléconsultation (15 septembre 2018) et l’acte de télé-expertise (février 2019) sont remboursables que l’on va pouvoir, du jour au lendemain, réussir ce mode de pratique. Il faut que les patients aient confiance, ainsi que les médecins. Paradoxalement ce sont les médecins les plus anciens qui s’engagent le plus. Et les jeunes qui sortent d’un enseignement clinique avec de la palpation, ont souvent un peu peur ».

Dans la charte du G4, il est précisé qu’un patient donne son consentement, que la responsabilité est partagée entre celui qui adresse et celui qui fait l’acte…

La télémédecine concerne toutes les spécialités et tous les patients, sauf ceux qui seront jugés non éligibles.

Certains actes ne pourront jamais se faire par télémédecine. Par exemple, dans une douleur abdominale aiguë chez un nourrisson, il n’y a pas beaucoup de pédiatres ou urgentistes qui acceptent la consultation à distance. Le message va être assez rapidement : « venez, il faut que j’examine cet enfant ». Eléonore Blondiaux ajoute « que c’est une des particularités des hôpitaux pédiatriques. La radiologie pédiatrique repose énormément sur l’échographie. On utilise le moins possible les rayonnements ionisants. L’échographie, parmi toutes les autres techniques, est la technique le plus « opérateur-dépendant. Et là, on a besoin d’avoir des radiopédiatres qui sont formés à l’échographie et capables de réagir assez vite ».

Julien Carricaburu informe que la CNAMTS s’est dotée d’un observatoire. Aujourd’hui il y a deux niveaux de télé-expertise. La CNAMTS compte sur la mobilisation du niveau 1 et du niveau 2 et va surveiller le développement de ces nouveaux types de services. Quelles populations ? Quelles spécialités ? Est-ce que ce sont des populations urbaines ? rurales ? ….

Myriam Edjlali souligne qu’il s’agit de soin organisé autour du patient et que l’on est passé à une médecine mouvante, par son organisation et par sa complexité technique. Elle ajoute : « Ce qui est très positif, c’est l’idée de ce cadre flexible qui permet de laisser émerger l’innovation et de voir ce qui peut ressortir comme expérience positive pour le patient ».

Laurence Rocher présente le cas d’un jeune homme en parapente et rappelle un cas de jurisprudence. « En 2010, un jeune homme a un trauma crânien en parapente. Un premier scanner local ne montrait pas d’anomalie. Il est donc sorti. Son cas s’aggrave, il a mal à la tête et il vomit. Un deuxième scanner montre un hématome frontoparétal bilatéral et la télé-expertise est demandée au CHU. Le CHU répond qu’il n’y a pas de place disponible et que l’on peut différer l’intervention de drainage, d’autant plus qu’il y a une prise d’aspirine. Le lendemain, aggravation, même avis. Mais le patient décède. Sur le deuxième scanner, il y avait un début d’engagement temporal. C’est-à-dire une complication de l’hyperpression du cerveau. Dans cette affaire tragique, le CHU invoque le doute sur la réception des deux planches par le service de neurochirurgie. Ce ne sont donc pas les services de radiologie qui sont mis en cause, mais les cliniciens qui ont pris en charge le patient. Le CHU met en cause la qualité des images mais les médecins en urgence qui ont reçu ces images n’ont pas émis de réserve sur le caractère complet ou qualitatif de ces clichés. »

La conclusion de la société d’assurance qui a relaté ce fait est : « En télé-expertise, la clinique ne doit jamais être négligée, les clichés ne doivent pas être interprétés sans prise en compte de l’examen et des constats réalisés par les médecins présents au côté du patient ».

Les règles de responsabilité applicables aux professionnels de santé engagés dans un acte de télémédecine sont les mêmes que celles applicables à la pratique traditionnelle de la médecine. Elles restent fondées sur l’application du droit commun de la responsabilité civile professionnelle. La responsabilité civile d’un professionnel de santé pratiquant un acte de télémédecine ne pourra donc se trouver engagée, pour répondre des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins, qu’en cas de faute (article L.1142-1 du CSP). Par ailleurs, lors de la réalisation d’un acte de télémédecine, notamment en matière de téléassistance ou de télé-expertise, un partage de responsabilité est possible entre « le médecin requérant » (celui qui sollicite l’intervention d’un confrère) et « le médecin requis » (celui qui répond à la sollicitation du médecin requérant).

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