L’imagerie médicale, au coeur de la prise en charge de l’AVC
L’AVC est un problème majeur de santé publique. En France, il est la première cause de handicap physique acquis de l'adulte, la 2ème cause de démence et la 3ème cause de mortalité avec 35 000 décès par an. On estime actuellement à environ 500 000 le nombre de victimes d’AVC et à 130 000 le nombre de nouveaux cas annuels. Qu’il s’agisse des AVC ischémiques (ou infarctus cérébraux), qui représentent 80 % des AVC, ou des AVC hémorragiques, la prise en charge en urgence suppose, avant tout, d’accéder rapidement à l’examen d’imagerie qui permettra d’identifier la nature de l’AVC et d’administrer le traitement approprié dans les meilleurs délais [Lettre de la HAS n° 21, Des recommandations pour optimiser la prise en charge des AVC].
Interview croisée de deux experts en neuroradiologie, les professeurs Xavier Leclerc (CHRU de Lille) et Francis Turjman (CHU de Lyon)
Une faiblesse générale, l’engourdissement et/ou la paralysie d’un membre ou de la face, une diminution ou une perte soudaine de la vision, des difficultés à articuler, à parler ou comprendre ce qui est dit, une perte de l’équilibre voire une chute soudaine, sont les principaux signes annonciateurs qui doivent absolument mettre en alerte le patient et son entourage Tous ces symptômes neurologiques ont en commun leur apparition brutale, soudaine, apparition que l’on pourrait comparer à ceux de l’infarctus du myocarde à l’exception de la douleur, car l’AVC est rarement douloureux.
Le diagnostic clinique d’AVC peut être difficile, notamment lorsqu’il manque la notion d’installation soudaine des troubles neurologiques ou lorsque les signes cliniques sont peu spécifiques (malaise, vertiges, troubles visuels...). D’autres diagnostics peuvent alors être évoqués tels qu’une migraine avec aura, une crise convulsive, un désordre métabolique (comme une hypoglycémie). La littérature indique qu’environ 15 % des suspicions cliniques d’AVC correspondent en fait à une autre pathologie d’où l’intérêt de l’imagerie cérébrale en urgence pour éliminer certains diagnostics (tumeur cérébrale, pathologie inflammatoire...).
Il est également important de sensibiliser les patients sur la durée de la paralysie et de l’engourdissement. Contrairement aux idées reçues, une paralysie qui ne dure que quelques minutes n’est pas anodine et doit être prise au sérieux (1 fois sur 5 elle ne dure que très peu de temps comme l’angor dans le cas de l’infarctus). C’est ce que l’on appelle un AIT (accident ischémique transitoire). Ce signe d’alerte doit être considéré par les médecins et la population comme un véritable symptôme. C’est un point que l’on a tendance à négliger en se disant que c’est la paralysie durable qui annonce l’AVC.
Tout déficit neurologique brutal transitoire ou prolongé impose l’appel immédiat du SAMU (centre 15). Le centre de régulation choisit le mode de transport le mieux adapté permettant d’acheminer rapidement le patient vers l’unité neurovasculaire (UNV) la plus proche. Tous les acteurs de la filière neuro-vasculaire intra-hospitalière (urgentistes, neurologues, radiologues...) sont contactés avant l’arrivée du patient selon une procédure écrite permettant l’accès rapide à une expertise neuro-vasculaire et à une imagerie cérébrale en urgence.
L’examen neurologique permettra notamment de confirmer la suspicion d’AVC et d’évaluer la gravité des troubles neurologiques. L’imagerie cérébrale, réalisée par le radiologue, permettra d’éliminer une hémorragie cérébrale (rupture d’un vaisseau) et de préciser le siège et l’étendue exacte de l’infarctus cérébral (occlusion d’un vaisseau). A l’issue de l’imagerie, le neurologue responsable de l’UNV pourra décider du traitement à proposer.
Le scanner sans injection de produit de contraste permet facilement de porter le diagnostic d’accident hémorragique devant la présence d’une hyperdensité. En revanche, cet examen est peu sensible pour la détection de l’infarctus cérébral (80% des AVC). L’IRM cérébrale est l’examen de référence, recommandé par le guide de bon usage des examens d’imagerie publié par la Société Française de Radiologie (SFR), permettant non seulement d’éliminer un accident hémorragique mais aussi de détecter la zone d’infarctus dès la première heure suivant le début des signes cliniques.
L’IRM est beaucoup plus précise que le scanner pour détecter des infarctus multiples ou de petite taille ou pour évaluer l’étendue de la zone cérébrale nécrosée (infarctus). Ces éléments sont importants à prendre en compte à la fois pour le pronostic du patient et pour la décision thérapeutique.
Mais la "pénurie" d’IRM, en nombre insuffisant et surchargées, conduit dans les faits à recourir le plus souvent au scanner. Et force est de constater que nous avons du mal à rattraper notre retard, notamment par rapport aux autres pays européens. Rappelons une nouvelle fois que l’on a presque 2 fois moins d’IRM que la moyenne européenne (9,4 IRM par million d'habitants en France alors que la moyenne européenne est de 17 IRM). La situation s’améliore petit à petit…
Certaines régions, comme la région Nord-Pas-de-Calais, ont réussi à combler leur retard, notamment grâce à une politique active du conseil régional.
Il faut également rappeler que le vieillissement de la population induit une utilisation croissante de l’IRM dont toutes les spécialités ont besoin. On voit apparaître des pathologies, comme la maladie d’Alzheimer, qui nécessitent de nombreux examens d’exploration.
Quant à l’IRM dédiée aux urgences, elle est indispensable dans les hôpitaux dont le nombre de passages aux urgences est très élevé. A titre d’exemple, au CHRU de Lille, seul hôpital universitaire pour toute la région Nord-Pas-de-Calais, on avoisine les 120 000 entrées : l’IRM dédiée aux urgences est alors essentielle pour optimiser la prise en charge des patients atteints d’AVC. D’autres établissements s’organisent différemment, notamment en levant des créneaux horaires réservés aux urgences.
La thrombolyse par voie veineuse est réalisée en cas d’infarctus cérébral lié à l’obstruction d’une artère par un caillot. Elle consiste à injecter un thrombolytique (activateur tissulaire du plasminogène appelé rtPA) afin de dissoudre le caillot et restaurer la circulation au niveau de l’artère occluse. La thrombolyse par voie intraveineuse est recommandée lorsqu’elle est réalisée dans les 4h30 après le début des signes cliniques, imagerie comprise, en sachant qu’elle est d’autant plus efficace qu’elle est réalisée précocement après l’installation des symptômes. La décision ne peut, bien évidemment, pas être prise avant d’avoir éliminé une hémorragie sur l’imagerie. Si le geste technique est très simple, le produit injecté nécessite de prendre beaucoup de précautions, notamment à cause des nombreuses contre-indications (AVC hémorragique, intervention chirurgicale récente, AVC ischémique de moins de 2 ans, troubles biologiques comme les troubles de la coagulation, HTA sévère…).
Bien que la thrombolyse puisse suffire à améliorer le flux sanguin et réduire ou éliminer les symptômes, elle a ses limites de temps, d’accès et d’efficacité. On estime à 5 000 le nombre de thrombolyses effectuées par an soit 4 % des patients qui auront accès à ce traitement. Un pourcentage largement insuffisant lorsque l’on sait que la thrombolyse permet de diminuer les séquelles et les récidives chez 1 patient traité sur 7.
La thrombectomie est un acte de radiologie interventionnelle qui consiste à retirer, à travers les artères, le caillot sanguin à l’aide d’un dispositif mécanique. On introduit un cathéter (sonde) par voie fémorale pour atteindre l’artère obstruée puis on place un micro cathéter, plus fin, à travers le caillot que l’on va enlever : un geste effectué en 45 minutes et dont le bénéfice sur la réouverture des artères est réel. La thrombectomie peut être réalisée seule, lorsque la thrombolyse est contre-indiquée, ou, plus fréquemment, en association avec la thrombolyse dont elle pourrait améliorer les résultats. Elle nécessite cependant des moyens humains et matériels plus lourds et plus sophistiqués que la thrombolyse : un neuroradiologue interventionnel (spécialisé dans les actes interventionnels assistés par l'imagerie médicale), un anesthésiste, une infirmière, une salle d’angiographie et du matériel de thrombectomie.
A ce jour, une douzaine d’études randomisées (dont l’étude THRACE en France) pourrait confirmer une amélioration clinique chez 15 à 20 % des patients (en complément du bénéfice de la thrombolyse). Nous attendons la validation scientifique de l’amélioration de l’état des patients à 3 mois. La thrombectomie est une technique prometteuse qui bénéficie d’une fenêtre thérapeutique plus large que celle de la thrombolyse (jusqu’à 6h, voire 8h, après le début des signes cliniques). Elle est plus efficace sur les occlusions des grosses artères cérébrales ainsi que sur les caillots volumineux et reste le seul traitement utilisable lorsque la thrombolyse est contre-indiquée.
Tous les rapports ministériels sur l’AVC souligne le problème du manque d’unités neuro-vasculaires. En France, nous recensons une centaine d’UNV alors que nous devrions en disposer d’environ 200. À cela s’ajoute l’inadéquation entre démographie et répartition des UNV sur le territoire. Le plan AVC 2010-2014 souligne cette importante hétérogénéité. Notons également que par rapport à nos voisins européens, nous sommes le pays où les AVC sont le plus souvent pris en charge dans une unité non spécialisée [Voir encart ci-dessous] (non neurologique), ce qui augmente de 30 % la morbi-mortalité sans lien avec un traitement thrombolytique éventuel. Il existe donc une réelle perte de chance pour certains patients qui, envoyés par le médecin généraliste ou arrivant d’eux-mêmes à l’hôpital, se retrouvent dans un établissement où il n’y a ni service de neurologie, ni UNV. La prise en charge est alors beaucoup plus complexe que dans une métropole ou le transfert au CHU est fait de façon évidente.
Nous ne pouvons cependant pas multiplier le nombre d’UNV et de neuroradiologues dans toutes les régions de France : le coût serait énorme pour un bénéfice faible. En termes d’équilibre médico-économique, cela n’est pas viable et non justifié. En revanche, homogénéiser la prise en charge, grâce à une meilleure répartition des plateaux techniques et au développement de la téléradiologie, est essentiel.
Le rapport ISA de 2009 soulignait que 15 à 20 % des AVC était pris en charge en UNV et seulement 40 % en neurologie. A titre de comparaison, la prise en charge en UNV est de 60 à 70 % en Norvège et d’environ 40 % en Allemagne (un des pays les mieux dotés en UNV et en IRM).
La téléradiologie est un moyen intelligent de répondre à cette hétérogénéité en mutualisant les moyens humains. Elle fait d’ailleurs partie des axes développés dans le plan AVC 2010-2014 au sein des ARS.
Prenons l’exemple d’un patient victime d’un AVC à Cambrai. Le centre hospitalier (CH) de Cambrai ne disposant ni d’UNV ni de service de neurologie, le patient était autrefois transféré au CHU de Valenciennes, ce qui entraînait une perte de chance en raison du retard de prise en charge. Aujourd’hui, ce patient va pouvoir être directement pris en charge au CH de Cambrai. L’urgentiste de garde au CH de Cambrai contacte le neurologue de garde responsable de l’UNV la plus proche ainsi que le radiologue de garde dans un autre établissement. L’urgentiste évalue cliniquement le patient sous la supervision du neurologue (par webcam). L’IRM cérébrale réalisée à Cambrai est transmise au radiologue, par télétransmission, qui communique à l’urgentiste et au neurologue les résultats de l’examen. Une fois toutes les informations réunies, une thrombolyse peut être décidée si nécessaire et réalisée par l’urgentiste au CH de Cambrai sous la responsabilité du neurologue. Le patient peut ensuite être transféré dans l’UNV la plus proche. Cette communication triangulaire nous permet de tenir les délais de prise en charge et d’améliorer le pronostic.
Au-delà d’une sensibilisation active du grand public sur les signes et les conduites à tenir, il est important que le médecin généraliste informe les patients à risque (antécédents vasculaires, HTA, diabète...) ainsi que leur entourage des principaux signes devant alerter. En cas de suspicion d’AVC, il doit préconiser l’appel immédiat au SAMU, avant même tout appel à son cabinet. Il doit également expliquer l’importance de noter l’heure de début des symptômes. En cas d’appel direct à son cabinet, il doit, s’il y a suspicion d’AVC, transférer l’appel au SAMU.
Le manque d’IRM et d’UNV freine considérablement l’homogénéisation de la prise en charge de l’AVC en France. Dans une ville où il n’y a ni IRM ni UNV, la perte de chance pour certains patients est réelle.
En somme, on peut retenir 5 points essentiels à l’optimisation de cette prise en charge :
- Une sensibilisation de la population et des médecins généralistes ;
- Une augmentation du nombre d’UNV en France ajoutée à une meilleure répartition ;
- Le développement du parc IRM ;
- Le déploiement de la Télé radiologie et de la télé-imagerie ;
- La validation scientifique de la thrombectomie.